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Mais le plus important

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Il est temps de zapper l’interminable feuilleton « Qui siégera à Matignon ». C’est dans la rue que notre avenir se décidera, avec un premier rendez-vous de mobilisation le 1er octobre 2024.

Macron, en cherchant à contourner le résultat d’un scrutin bâclé qu’il a lui même provoqué, franchit un pas supplémentaire vers l’autoritarisme. Une tendance toujours plus inquiétante dans un régime présidentiel parmi les plus « monarchiques » d’Europe, et où l’extrême droite est aux portes du pouvoir.

Pour maintenir la politique néolibérale et procapitaliste qui est la sienne, Macron prend tout son temps. Pendant que l’ensemble des partis politiques défilent à l’Élysée pour réclamer Matignon, les ministres d’un gouvernement démissionnaire poursuivent la casse des services publics et l’austérité au titre de la « gestion des affaires courantes ». Spectacle ubuesque d’un système politique et économique à bout de souffle, ce mépris de la volonté populaire sera-t-il celui de trop ? Cela dépendra grandement de la capacité du mouvement social à faire entendre sa voix.

Les élections sont passées, place à la lutte sociale

Constatant le déni présidentiel, certains partis du Nouveau Front populaire appellent à manifester le 7 septembre pour obtenir ce que Macron nomme une Première ministre issue du NFP. Mais quel sens cela a-t-il de manifester pour réclamer un gouvernement social-démocrate dépourvu de majorité parlementaire ? Si l’UCL a appelé à voter NFP en juillet pour faire barrage au RN, c’était bien « sans illusions ni scrupules ».

On n’en attendait rien de plus, comme on n’attendra rien du gouvernement technique que Macron va finir par désigner.

Le répit obtenu face à l’extrême droite, cette situation d’immobilisme institutionnel, il faut aujourd’hui les mettre à profit pour faire entendre nos revendications sociales, renforcer les outils de l’autonomie populaire, comités de quartier et syndicats de lutte en tête. Les révolutionnaires doivent faire leur possible pour que le mouvement social avance et grandisse en imposant une ligne antifasciste et antiraciste claire, quel que soit le Premier ministre qui atterrira à Matignon. C’est là le vrai rempart contre l’extrême droite, contre son arrivée au pouvoir, et contre sa politique si elle finit par s’en emparer.

Alors toutes et tous en grève et dans la rue le 1er octobre 2024, à l’appel de l’intersyndicale CGT-FSU-Solidaires, pour augmenter les salaires, abroger la réforme des retraites, redéployer les services publics sur tout le territoire. Ce sera une première étape déterminante pour mesurer la combativité de notre camp social dans l’année qui s’annonce. Nous travaillerons partout où c’est possible au succès de cette journée d’action.)

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Du 24 au 26 mai dernier, les Soulèvements de la Terre (SdT) ont appelé, avec le soutien d’organisations politiques, syndicales et associatives, à se mobiliser contre le projet d’entrepôt Greendock qui porte atteinte à l’environnement local. Face à cette mobilisation, l’État déploie son arsenal policier pour protéger le modèle de production libéral. Il est urgent de construire une lutte écologiste suffisamment forte pour chambouler les projets capitalistes et destructeurs. Trois camarades de l’UCL sur place développent leur analyse de la mobilisation Stop Greendock.

Greendock est un projet d’entrepôt vendu par ses promoteurs immobiliers comme une merveille alliant développement économique et protection de la nature. Vraiment ? Ce projet s’incarnera dans des structures préfabriquées de 600 mètres de long pour 35 mètres de hauteur, le long des berges de la Seine. Une occasion de faire profiter à la faune et à la flore de la zone Natura 2000, située à quelques centaines de mètres du projet, des bienfaits du capitalisme à grand coup de bétonisation. Les personnes habitant la banlieue nord parisienne, déjà fortement urbanisée, pourront avoir la chance d’accéder à de nouveaux emplois précaires et à un air toujours plus pollué par les allers-retours des bateaux et des camions.

Peu emballé par ces belles promesses, un cadre unitaire très large s’est mobilisé contre le projet, depuis La France insoumise jusqu’au milieu militant plus autonome, en passant par les collectifs écologistes locaux, les associations et bien sûr des syndicats. Le week-end s’est d’abord ouvert sur une table ronde, avec des syndicalistes CGT de la logistique et du déchet, et de Sud Rail, mettant en avant les atteintes aux droits sociaux avec la création d’emplois précaires dans ces secteurs d’activité.

Des dispositifs déployés pour protéger le capitalisme

Le point fort du week-end a été la manifestation du samedi, qui a mêlé action directe et marche familiale. Une attention a été portée à la sécurité des manifestantes et manifestants grâce à un brief juridique et médical, et avec la mise en place d’une base arrière légale et d’un accueil en cas de besoin de soutien émotionnel. Autant de précautions nécessaires et salutaires au vu de la répression actuelle des mouvements écologistes.

En effet, comme à chaque manif-action coordonnée par les SdT, un dispositif policier important encadre la manif avec des lignes de CRS placées à l’avant et à l’arrière du cortège. Il s’agit là d’une illustration claire de ce que défend le gouvernement : pour lui, le mouvement écologiste est dangereux, si ce n’est terroriste. C’est ainsi qu’il justifie l’utilisation de mesures pourtant violentes et intimidantes mais considérées comme adéquates pour contrôler la mobilisation sociale soi-disant menaçante. Le maintien de l’ordre tel que défendu par l’État a pour but de protéger le modèle de production capitaliste et d’empêcher à tout prix que les tactiques de revendication dans les milieux écologistes ne se répandent.

Mais de quelle menace parle-t-on ? Il s’agit en réalité d’actions symboliques comme bloquer pendant deux heures une zone industrielle ou construire une bergerie sur un tracé d’autoroute ou sur des terres non artificialisées. Pourtant insuffisantes pour empêcher la mise en place effective d’un tel projet démesuré, ces actions peuvent exposer les militantes et militants au fichage et à la répression judiciaire. Cela nous amène à se demander si les objectifs de l’action étaient à la hauteur des risques personnels pris par les personnes venues manifester.

Construire collectivement la lutte écolo

Depuis plusieurs années déjà, les entrepôts logistiques se développent du fait notamment de la hausse du commerce en ligne, et bénéficient d’aides massives des pouvoirs publics. Les SdT n’ont certes aujourd’hui pas encore la force nécessaire pour être un contre-pouvoir suffisant pour faire plier l’État ou arrêter un tel chantier, mais le mouvement sensibilise, dérange les capitalistes et le gouvernement libéral, et arrive à mobiliser massivement. Les SdT mettent la pression sur ces projets néfastes à la fois socialement et écologiquement. Cette façon de faire est inspirante pour les mobilisations écologistes puisque pour nous, c’est en construisant des rassemblements communs avec les associations locales, les syndicats des secteurs concernés et les forces politiques que l’on défendra une vraie écologie populaire et sociale.

Marie et Pierre (UCL Caen), Bertrand (UCL Paris Nord Est)

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submitted 5 days ago* (last edited 5 days ago) by [email protected] to c/[email protected]
 
 

Et si les mots anciens tels que « génocide » (et pourquoi pas « colonisation ») étaient des faux amis ? Et si les nouvelles technologies qui assujettissent nos affects quand on croit les exprimer nous trahissaient, elles aussi ? Et si nous-mêmes nous trahissions les témoins ainsi ? Et comment articuler plus que des bribes de vérité quand les événements nous coupent le souffle ? Ce texte n’est pas une réponse. Aucune réponse aux événements en cours n’est un texte.

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Face à l’accélération de la montée de l’extrême droite provoquée par les législatives anticipées, une tribune a rassemblé les médias indépendants de toutes les tendances de la gauche, pour affirmer un « front commun » et rappeler que l’extrême droite est aussi l’ennemie de la liberté de la presse et de l’information.

Le 19 juin, Alternative libertaire était signataire d’une tribune, « Pour un front commun des médias contre l’extrême droite » [1]. Portée par le Fonds pour une presse libre, et cosignée par 90 médias, elle rappelait le danger mortel pour la presse que représente l’extrême droite : « Partout [où elle] gouverne, la liberté de la presse est violemment attaquée : interdiction de publication, destruction du secret des sources, multiplication des procédures baillons, censure, pressions et intimidations, assèchement des aides publiques à la presse. »

L’audiovisuel public, organe de propagande ?

Une fois au pouvoir, l’un des premiers objectifs de l’extrême droite est de le conserver. Cela passe entre autre par la destruction du pluralisme médiatique et de la liberté de la presse. On a pu le constater en Hongrie, où les oligarques proches du parti de Viktor Orbán contrôlent désormais plus de 80 % du paysage médiatique, et où l’audiovisuel public a été transformé en organe de propagande. L’affaire Pegasus a aussi montré que le gouvernement avait placé plusieurs journalistes et patrons de presse sous surveillance [2].

Un rapide examen du programme du RN permet de constater que la question des médias n’y est évoquée qu’en une phrase : « Privatiser l’audiovisuel public ». La chose a le mérite d’être claire : dans un contexte de concentration des médias français aux mains de quelques milliardaires, le RN souhaite appuyer sur l’accélérateur. Dans l’objectif inavoué de finir de pousser le paysage audiovisuel vers un discours conservateur et fasciste hégémonique.

Mais l’extrême droitisation de la télévision n’a pas attendu le RN : deux jours après la publication de la tribune évoquée plus tôt, nous apprenions la « mise en retrait » de cinq journalistes de France Télévisions, accusés d’avoir « enfreint la règle de neutralité politique », pour avoir signé ce texte au nom de la Société des journalistes (SDJ) de France 3. Placardisés jusqu’au 8 juillet, les signataires ne traiteront plus la campagne législative, la direction considérant qu’il « en va de l’image d’impartialité des rédactions de France Télévisions ».

La liberté de la presse en recul

Il faut dire que si le RN souhaite accélérer la mutation du PAF, les gouvernements précédents lui ont largement préparé le terrain, avec les réformes successives de l’audiovisuel public et du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), devenu l’Arcom [3] en 2022. Si le gouvernement Hollande était revenu sur la loi du 5 mars 2009 qui donnait au président de la République le pouvoir de nommer les présidents de l’audiovisuel public, cette tâche revient désormais à l’Arcom, une instance dont le président est nommé… par le président de la République. L’autorité de régulation est également pilotée par un collège de huit membres en plus de son président, trois d’entre eux étant nommés par la présidence de l’Assemblée nationale : il s’agira là d’un enjeu important dans les semaines qui suivront les élections législatives du 7 juillet, le RN pouvant, via l’assemblée, acquérir du contrôle sur le « gendarme de l’audiovisuel », déjà bien peu énergique quand il s’agit de surveiller les dérives des médias Bollorisés.

Mais ce n’est pas tout : le gouvernement Macron a aussi fait reculer la liberté de la presse, en faisant primer le secret des affaires et en portant atteinte au secret des sources, multipliant les actions contre des journalistes d’investigation : coups de pression, mais aussi perquisition et garde à vue de la journaliste Ariane Lavrilleux, journaliste au média Disclose, qui avait déjà été la cible de la DGSI à de multiples reprises pour s’être intéressée de trop près à des dossiers classés secret défense [4]. Encore plus récemment, c’est une journaliste du média Blast enquêtant sur les ventes d’armes de la France à Israël qui a été placée 32 heures en garde à vue [5].

La bascule s’est aussi faite dans les discours de Macron, en particulier lors de l’affaire Benalla. N’appréciant pas que la presse s’intéresse de trop près à son protégé, le président dénonçait alors dans une déclaration « une presse qui ne cherche plus la vérité », marquant une bascule dans un discours de post-vérité [6] d’inspiration trumpiste, et dans une attaque directe des médias d’investigation. Cette communication basée sur le rejet pur et simple de faits pourtant observables et sourcés n’est pas sans rapport avec la montée des discours fascistes. Comment s’étonner de l’explosion du complotisme à partir de la pandémie de Covid-19 quand le président de la République lui-même semble développer un rapport si souple avec la réalité matérielle ?

La presse, outil de résistance

Aujourd’hui en 2024 ce discours anti-journalistes s’est généralisé, comme le note Reporters sans frontières dans son classement annuel de la liberté de la presse où la note de la France continue de baisser. Un contexte confortable pour les discours du RN, pouvant lancer des attaques floues contre « les journalistes » sur des plateaux télévisés de plus en plus acquis à leur agenda, sans se soucier du paradoxe de la scène.

Alliées aux discours racistes traditionnels de l’extrême droite, ces prises de positions débouchent sans surprise sur des faits ciblant des journalistes racisé·es. Dans l’entre-deux tours des législatives, les journalistes Karim Rissouli et Mohamed Bouhafsi de France Télévisions, ainsi que Nassira El Moaddem de Arrêt sur images, ont tous les trois reçu des lettres d’insultes et de menaces racistes directement à leurs domiciles, ou à ceux de leurs parents.

Alors que l’extrême droite prend une place de plus en plus dominante dans les institutions politiques du pays, nous devons plus que jamais renforcer la presse libre et indépendante, qu’il s’agisse de la presse d’investigation ou des médias et journaux révolutionnaires. La presse et la circulation de l’information et des idées qu’elle permet est et sera un outil de résistance majeur contre l’extrême droite.

N. Bartosek (UCL Alsace)

[1] « Pour un front commun des médias contre l’extrême droite », Rapports de force, 19 juin 2024. [2] « Pegasus : un député du parti au pouvoir en Hongrie reconnaît l’utilisation du logiciel espion », Le Monde, 4 novembre 2021. [3] Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. [4] « “Disclose” : la DGSI a entendu à cinq reprises des journalistes du média d’investigation depuis 2018 », Le Monde, 22 septembre 2023. [5] « Après sa garde-à-vue, la journaliste de Blast contre attaque en justice », Blast, 28 juin 2024. [6] « “La tromperie est enracinée dans la communication politique” », Mediapart, 9 avril 2019.

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Les outils mis à disposition des élèves des lycées pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles sont souvent très faibles, sinon totalement inexistants. Comment organiser la lutte contre ces violences ? Mais aussi, quels sont les outils les plus pertinents pour le mouvement lycéen en général ? C’est ce que nous vous proposons de voir à travers l’exemple du combat mené par des élèves du lycée Bergès à Grenoble.

En septembre 2023, M. témoigne auprès de D. d’une agression sexuelle qu’il a subi de la part du professeur d’EPS. Tous deux sont élèves au lycée Bergès et militants de l’UCL Grenoble. Ils décident d’en faire le combat principal de la toute nouvelle commission lycéenne. S’ensuit une phase de récolte de témoignages sur plusieurs mois : six cas supplémentaires leur sont remontés. Dès septembre, des surveillant·es mettent au courant les CPE qui sont censées alerter à leur tour la direction. Pourtant, jusqu’en décembre, aucune forme de protection des lycéen·nes ne sera mise en œuvre. Plus tard, la direction dira ne pas avoir été informée des faits de VSS. Dans l’intervalle, les militant·es insistent et se heurtent à des murs.

La défaillance syndicale

En novembre, D. demande le soutien d’enseignantes de la CNT ou qui en sont proches. Elles avouent ne pas être étonnées des révélations sur cet enseignant mais refusent d’accompagner les élèves face à la direction. La voie syndicale est également verrouillée du côté de « Sud Lutte de classes » (scissionnaires de Sud Éducation en Isère qui utilisent toujours le nom Sud par imposture). La commission lycéenne a des contacts à la CGT Éduc’action par le biais de l’UCL mais ne trouve pas de moyen de la faire intervenir dans un lycée où elle n’est pas implantée. Du côté des élèves, c’est déçu·es de leur expérience au sein du Mouvement National Lycéen (« syndicat » plus ou moins proche de Solidaires) que les lycéen·nes communistes libertaires de Grenoble ont fondé la commission lycéenne en septembre 2023. En militant au MNL, ils et elles se sont heurté·es aux problèmes structurels du « syndicalisme » lycéen. Comment construire des sections syndicales fortes en trois ans, dans des lycées atomisés par la réforme du bac, dont l’un des objectifs est, à l’instar du management moderne, de briser les collectifs de classe ? Y a-t-il une « conscience de classe lycéenne » ?n De plus, les luttes lycéennes, et celle-ci le démontre, sont souvent trop éprouvantes pour de jeunes militant·es qui ne sont pas solidement accompagné·es par leur structure. L’UCL apporte la pratique de lutte concrète, le cadre politique et la camaraderie forte indispensables à ces luttes lycéennes qui manquaient au MNL.

La FCPE (Fédération des Conseils des Parents d’Élèves) sera la seule structure en mesure d’accompagner les élèves en lutte dans le bureau du proviseur et de son adjointe. Ce 7 décembre, les élèves posent un ultimatum : si rien n’est fait avant la rentrée de janvier, où débute un cycle piscine, ils rendront l’affaire publique. Dès la semaine suivante, l’enseignant est suspendu. Les militant·es continuent pourtant de subir diverses pressions de la part de la direction. M. est convoqué sous un faux motif et se voit accusé de propager des rumeurs sur l’agresseur. Lors d’un entretien avec les élèves en lutte, une CPE exprime la grande souffrance causée par l’impossibilité structurelle d’accueillir les victimes de VSS. Quant à la direction, elle alterne entre hostilité et fausse compassion impuissante. Par exemple, elle avoue aux militants que des lycéennes lui avaient déjà rapporté des comportements « bizarres » de cet enseignant. La direction a choisi d’en parler directement au professeur en question, sans suivi particulier, signe d’une méconnaissance profonde des violences patriarcales. Par la suite, elle transmettra que se passe-t-il au niveau de la justification les noms de ces lycéennes à la police sans leur avis. Moins surprenant, mais tout aussi violent, la police sollicitée automatiquement par le rectorat pour fournir un rapport d’enquête a mis la pression sur M. en lui demandant de pousser les autres victimes à déposer plainte. En revanche, les OPJ n’ont auditionné ni la direction, ni les CPE.

Rentrée de janvier : l’UCL en ordre de bataille

Bien que l’enseignant ait été suspendu depuis décembre, le lycée maintenait sa politique de l’opacité et rien ne garantissait qu’il ne reviendrait pas après l’enquête. La commission lycéenne a alors fait appel au reste de l’UCL Grenoble pour un tractage massif le 17 janvier. Le proviseur a eu beau sermonner longuement les élèves en lutte devant le portail, 700 tracts intitulés « Victoire pour les lycéen·nes mobilisé·es de Bergès  ! » ont été distribués. Nouveau faux pas, le proviseur a ensuite demandé à toutes et tous les enseignant·es de condamner le tract devant leurs classes au motif qu’il serait erroné, puisque l’agresseur n’était pas « mis à pied » mais « suspendu »... Un tract condamnable parce que nous aurions atténué la sanction par inadvertance ? Là encore, la direction a joué des pieds et des mains alors qu’elle perdait les pédales ! En amont de cette démonstration de force, l’UCL avait fourni un accompagnement juridique ainsi qu’un partage d’expérience sur le militantisme lycéen et étudiant. Surtout, elle a apporté un soutien moral vital.

La commission lycéenne tire plusieurs conclusions politiques de ces événements qui confirment des analyses préexistantes. D’abord, l’organisation politique doit un soutien au long cours aux militant·es en première ligne dans la lutte contre les VSS et organiser des actions visibles et massives. Dans les mêmes circonstances, un syndicat lycéen aurait été démuni dès l’abandon par les profs et les CPE. Par ailleurs, notre grille d’analyse libertaire permet de mettre en évidence le rôle des institutions de l’État comme l’Éducation Nationale et le lycée Bergès dans la silenciation des victimes et la stigmatisation des militant·es lycéen·nes. À ce jour, l’enseignant n’est pas revenu. Cette victoire a permis d’emmener bon nombre de lycéen·nes en manifestation le 8 mars pour les luttes féministes,, contre le «  choc des savoirs  » et en soutien au peuple palestinien. Construire un mouvement lycéen fort, c’est d’abord lutter dans nos lycées.

Le combat ne fait que commencer. Au moment même où nous écrivions cet article en terrasse d’un café, un élève d’un autre lycée est venu voir D. et M. pour leur parler d’un nouveau cas. Difficile de mieux illustrer les effets de la lutte : on se reconnaît, on se cause et on s’auto-organise. Même dans les lycées, on laisssera rien passer  ! Violences sexistes, riposte féministe !

Commission lycéenne de l’UCL Grenoble

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Il est des sujets déjà bien documentés que l’on pourrait penser, à tort visiblement, que l’on en a fait le tour. Cet ouvrage de l’historien Pierre Salmon, tiré de son travail de thèse, est de ceux qui nous surprennent sur un sujet que l’on croyait pourtant abondement documenté : la lutte et la solidarité antifasciste durant la guerre d’Espagne.

L’auteur s’intéresse ici à la solidarité en acte de militant·es antifascistes qui ont mis sur pied des réseaux de passe d’armes vers l’Espagne en guerre, une « contrebande révolutionnaire », pour soutenir le combat antifasciste, ce qu’il nomme un « antifascisme de combat ».

Du fait de l’abandon de l’Espagne républicaine par le Front populaire qui pratique une « politique de non-intervention », même si les frontières ne furent pas hermétiquement fermée, les approvisionnements d’armes de l’Espagne républicaine et révolutionnaire proviennent essentiellement de l’URSS. Il y eut cependant des militants, anarchistes, trotskistes ou communistes, qui entrèrent en contrebande pour défendre « leur révolution ».

À côté des actions plus ou moins publiques de soutien à l’Espagne révolutionnaire et républicaine qui furent le fait dès 1936 du Secours rouge international (SRI), lié au Komintern, du Comité anarcho-syndicaliste pour la défense et la liberté du prolétariat espagnol (CASDLPE) et du Comité pour l’Espagne libre (CEL) et après les affrontements des journées de mai 1937 à Barcelone de la Solidarité internationale antifasciste SIA, s’organisent des réseaux plus informels de contrebande d’armes entre la France et l’Espagne.

Ce sont ces réseaux et ses acteurs, les femmes très peu présentes semblent avoir été invisibilisées nous dit l’auteur, qui sont au cœur de cet ouvrage : leur (dés)organisation, leurs déboires mais aussi les parcours des militants ayant pris part à cette solidarité en acte, souvent au péril de leur vie, moins visible et aussi moins valorisée que le volontariat armé.

À travers cet « engagement politique transnational en contexte clandestin » c’est une histoire de l’illégalise politique qui nous est ici proposée, à hauteur des parcours des hommes et des femmes qui se livrèrent à cette contrebande révolutionnaire.

David (UCL Savoies)

Pierre Salmon, Un antifascisme de combat : armer l’Espagne révolutionnaire – 1936-1939, Éditions du Détour, avril 2024, 256 pages, 21,90 euros.
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Début juin à Strasbourg la communauté kurde a subie plusieurs attaques des Loups gris, un groupuscule d’extrême droite lié au pouvoir turc, qui menace et attaque régulièrement la diaspora kurde mais aussi les militants et militantes de gauche.

Le 1er juin 2024, des militants kurdes du groupe CDK-F tenant une veille régulière pour la libération d’Abdullah Öcalan devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg, ont été attaqués par le groupe ultranationaliste turc Loups gris. Cette attaque, la deuxième en une semaine, illustre les manœuvres mises en place par les groupes d’extrême droite pour semer la peur dans les communautés qu’ils visent. La diaspora kurde en Europe est plus que jamais menacée par le groupe armé turc, parfois avec la complicité passive des États. À la fin du mois de mars 2024 par exemple, durant les célébrations de Newroz (le nouvel an kurde) les Loups gris ont perpétré de nombreuses attaques envers les membres de la communauté kurde de Belgique

Les médias européens tendent à minimiser les enjeux politiques de ces agressions. Le journal les Dernières nouvelles d’Alsace présente ainsi l’attaque des Loups gris sur les militant·es kurdes comme une « rixe entre communautés » [1]. Ce traitement réducteur minimise la dimension politique de la situation et la dangerosité du groupe Loups gris.

Les Loups gris sont une organisation d’extrême droite turque ultra-nationaliste et turquo-islamique liée au Parti d’action nationaliste (MHP) et proche de l’AKP (le parti d’Erdogan). Ses membres ont été historiquement débauchés par différentes instances régaliennes, comme l’armée ou les services secrets turcs, pour réprimer des oppositions politiques ou des minorités en Turquie et dans le reste du monde. Déclaré illégal en France, la dimension mafieuse du groupe et son investissement dans des associations sportives et culturelles lui permettent de toujours être actif dans l’Hexagone, accomplissant des actions violentes et racistes à l’encontre des communautés kurde, alévie et arménienne mais aussi des militants et militantes de gauche.

En Europe les Loups gris entretiennent des liens avec la droite et l’extrême droite, notamment en rejoignant les partis européens afin de pousser les intérêts de l’impérialisme turc. En Alsace, c’est par exemple un lien entre l’ancien député LR Yves Hemedinger et Süzer Ömer qui est militant LR mais aussi du MHP2. Les Loups gris sont une organisation qu’il faut prendre au sérieux dans la menace qu’elle représente par ses idées d’extrême droite et par ses méthodes violentes. En 2022 l’extrême droite turque assassine les militant·es et réfugié·es kurdes Mîr Perwer, Abdulrahman Kizil et Emine Kara, reflétant la politique impérialiste et raciste que l’État turc mène sur son territoire et à travers la guerre contre le Rojava. La violence des Loups gris illustre les tactiques politiques d’un État d’extrême droite. Notre soutien aux communautés kurdes face à la violence de l’État turc ne doit pas être seulement humaniste, elle doit être antifasciste et internationaliste. C’est par une entraide internationale que nous pourrons collectivement faire face aux extrêmes droites, qu’elles soient européennes ou turques.

Charlotte et Abel (UCL Alsace)

[1] « Rixe entre communautés turque et kurde près de l’Orangerie », Dernières Nouvelles d’Alsace, 2 juin 2024 https://www.dna.fr/faits-divers-justice/2024/06/02/rixe-entre-communautes-turque-et-kurde-pres-de-l-orangerie

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"Dans la guerre déclarée au Nouveau Front populaire (NFP) par un front éditocratique en roue libre, les interviews sont des moments stratégiques. Pendant la campagne des élections législatives, le NFP a eu droit à un temps d’antenne, dans des médias de plus en plus explicitement hostiles. Comment tendre un micro sans donner la parole ? Démonstration.

Nous avons relevé les questions posées par les journalistes et chroniqueurs à des personnalités politiques du NFP dans le cadre de la campagne électorale dans trois émissions :

  • Manuel Bompard, interrogé par Laurence Ferrari (CNews, le 11 juin)
  • Olivier Faure, interrogé par Apolline de Malherbe (RMC, le 13 juin)
  • Raquel Garrido, interrogée par Oriane Mancini (Public Sénat, le 13 juin)

Trois entretiens, relativement courts et une quarantaine de questions que l’on peut regrouper en cinq grandes catégories :

  • Questions sur les désaccords (entre partis du NFP)
  • Questions sur les personnes
  • Questions sur les valeurs
  • Questions sur les programmes
  • Questions sur l’organisation interne du parti

Une dernière catégorie regroupe les questions qui n’en sont pas, mais qui s’avèrent de pures affirmations – c’est-à-dire des commentaires (malveillants). Cette grille d’analyse ainsi constituée a été appliquée à deux entretiens plus longs, sur BFM-TV, animés par Benjamin Duhamel :

  • avec Fabien Roussel, le 13 juin, en présence de nombreux interlocuteurs, dont Natacha Polony, Charles Consigny, Bruno Jeudy et Aurélie Casse ;
  • avec Manuel Bompard, le 16 juin, en présence de Bruno Jeudy et Amandine Atalaya."
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Les images des bombardements, de la famine et des destructions de Gaza montrent le niveau d’horreur atteint par Israël. Mais il est important de ne pas oublier les prisonnières et prisonniers palestiniens, à l’heure où les témoignages de tortures, de viols, de traitements inhumains et dégradants se multiplient, dressant le portrait d’un véritable système concentrationnaire.

La situation des prisonniers et prisonnières palestiniennes est peu connue et peu évoquée, y compris à gauche. Au mieux elle est évoquée au détour d’une phrase. Au pire, les organisations de solidarité avec la Palestine se voient carrément reprocher de parler de leur situation [1]. Pourtant, il est impératif de dénoncer l’arrestation arbitraire, les humiliations, la torture, les viols et leur aggravation depuis le 7 octobre.

Un système de détention arbitraire

Qui sont les prisonnières et prisonniers palestiniens ? Souvent des mineur·es, et la plupart du temps des personnes arrêtées pour un délit anodin, ou pas de délit du tout. Un adolescent parce qu’à un contrôle dans un checkpoint des soldats israéliens ont trouvé dans son téléphone des photos d’un autre checkpoint ; un homme blessé près d’un champ de bataille à Gaza et considéré, pour cette raison, comme un combattant  ; une femme arrêtée près d’un hôpital où Israël prétend que des combattantes et combattants se cachent...

La « détention administrative » permet de garder ces personnes en prison sans la moindre justification pendant six mois. Au bout de ce délai, une parodie de procès (sans aucun droit de la défense) permet de prolonger l’emprisonnement pour six nouveaux mois. Et ainsi de suite, parfois pendant des années.

En juillet, un rapport de l’ONU évaluait à 1 100 le nombre de personnes en détention administrative. En décembre, ce nombre montait à 1 310. En avril, à 3 600.

Une batterie de lois a été votée depuis décembre dernier pour créer un autre régime de détention, encore plus permissif. Le statut de « combattants illégaux », qui est celui des personnes kidnappées à Gaza.

Celui-ci donne une licence totale à l’armée pour enfermer des personnes sans charge ni mandat d’arrêt, et sans accès à un avocat. Il s’agit d’une véritable carte blanche pour kidnapper sans le moindre contrôle judiciaire, sans même que l’armée ait à informer les proches de la victime.

Si on ajoute à cela qu’aucune loi israélienne ne condamne formellement la torture [2], on comprend mieux pourquoi le Shin Bet (services secrets israéliens) explique au New York Times que tous les interrogatoires sont « menés conformément à la loi ».

Bases militaires, ou camps de concentration ?

Depuis plusieurs mois, un véritable système concentrationnaire est mis en place, dans ce cadre juridique. Des témoignages terrifiants nous parviennent des camps de Sde Teiman, dans le désert du Neguev, d’Ofer et d’Anatot. Il s’agit de bases militaires transformées en ce qu’il faut bien appeler des camps de concentration. Sde Teiman semble être le plus important de ces trois centres [3].

La comparaison des images satellites de septembre 2023 et mars 2024 réalisée par CNN montre que « plus de 100 nouvelles structures, parmi lesquelles des grandes tentes et des hangars » ont été construites en quelques mois, agrandissant largement les infrastructures du camp [4].

Les témoignages dont nous disposons sur ces camps sont effrayants. Les personnes emprisonnées doivent rester menottées pendant des jours, jusqu’à provoquer des blessures graves aux poignets, aux bras et aux jambes. Un ancien médecin du camp explique que les amputations du fait de ces blessures relèvent de la « routine ».

Souvent laissées à moitié nues, elles portent seulement des couches et il leur est interdit d’aller aux toilettes. Ils et elles ont obligation de garder les yeux bandés, ont interdiction de bouger ou de parler. À la moindre désobéissance, les soldats les frappent pendant des heures, jusqu’à provoquer des fractures des os et des côtes, ou les forcent à se tenir pendant des heures les mains au-dessus de la tête en les attachant aux barrières.

La nuit, ces personnes sont menottées à leur lit, pendant que, sous prétexte de fouille, les soldats lâchent des chiens sur les détenu·es. Dans l’ancien hôpital militaire en annexe de la base de Sde Teiman, des détenu·es, quasi-nu·es et menotté·es à leur lit, sont laissé·es à la merci de jeunes internes en médecine à qui l’armée ordonne de mener des opérations pour lesquelles ils et elles ne sont pas formé·es.

Torture et viols de masse

L’enquête du New York Times décrit une véritable institutionnalisation du viol et de la torture dans le cadre des interrogatoires. Les personnes emprisonnées, toujours les yeux bandés et vêtues seulement d’une couche, sont d’abord maintenues dans des pièces où est jouée une musique extrêmement forte, au point de provoquer de saignements dans les oreilles, pour les empêcher de dormir.

De plus, les témoignages recueillis par le New York Times décrivent de multiples méthodes de torture, parmi lesquelles l’emploi de chaises électriques, et le viol au moyen d’une barre de métal, peut-être chargé électriquement [5] sur laquelle les soldats assoient de force les détenu·es.

L’emploi de la violence sexuelle par l’armée israélienne dans le cadre d’arrestations ou d’interrogatoires est fréquent : les fouilles à nu, souvent devant les familles, sont fréquemment un prétexte pour des agressions sexuelles et des viols [6].

Selon le New York Times, 4 000 personnes aurait connu l’enfer de Sde Teiman depuis octobre, et 35 morts seraient confirmées. Ce chiffre est probablement bien en-deçà de la réalité, dans la mesure où l’occupation refuse systématiquement de rendre les corps de celles et ceux qu’elle assassine.

Le démantèlement du système carcéral israélien, de ses camps de concentration, de sa détention administrative, de son armée de tortionnaires, doit être au centre de nos préoccupations pour la décolonisation de la Palestine.

Commission relations internationales

Exergue 1 : En juillet, 3 600 personnes en détention administrative Exergue 2 : Plus de 100 nouvelles structures ont été construites Exergue 2 : Plus de 100 nouvelles structures ont été construites

[1] Par exemple, une « lettre ouverte aux organisations qui convergent au sein d’Urgence Palestine », parue le 20 février dernier sur Mediapart, reproche à Urgence Palestine d’écrire que ne pas « faire mention des prisonniers palestiniens, hommes, femmes et enfants emprisonnés dans les geôles israéliennes, c’est se faire le porte-voix de du gouvernement israélien et de son armée », renvoyant à cette phrase comme une preuve de l’indifférence d’UP envers les otages israéliens.

[2] Israël est signataire d’une convention de l’ONU sur le sujet, mais s’est bien gardée de la traduire dans ses lois – et pour cause. Voir l’article de Janan Abdu, « The writing was on the wall for Israel’s torture of prisoners », 972 mag.com.

[3] Les informations que nous avons étant extrêmement partielles, la prudence est cependant de mise : il est possible que les témoignages dont nous disposons à ce jour ne soient qu’une petite partie de la réalité.

[4] La plus grande partie des informations sur Sde Teiman publiées dans cet article proviennent de deux sources : « Sde Teiman : « Israeli whistleblowers detail abuse of Palestinians in shadowy detention center » CNN et, « Inside Sde Teiman, the Base Where Israel Detains Gazans. » New York Times.

[5] Un des témoignages évoque un « bâton électrique » (« electric stick »).

[6] Voir l’article de Yumna Patel : « New reports confirm months of Israeli torture, abuse, and sexual violence against Palestinian prisoners », Mondoweiss

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Le parcours parlementaire de la loi d’orientation agricole (LOA), votée en première lecture au Sénat, a été interrompu du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale. Présentée comme permettant de s’adapter au changement climatique elle est en fait le signe de la prégnance et de du poids des lobbys industriels au détriment d’une agriculture paysanne et respectueuse des sols comme des personnes.

La loi d’orientation agricole 2024 avait été adoptée en première lecture le 28 mai à l’assemblée et devait être étudiée par le Sénat courant juin, sans grande crainte alors de rejet par celui-ci, majoritairement à droite.

Pour rappel, la LOA (Loi d’orientation agricole), annoncée en 2022, était présentée pour solutionner le renouvellement de la profession agricole[[D’ici 2035, un tiers des agriculteurs et agricultrices partiront à la retraite.] ainsi que pour accompagner les pratiques agronomiques à mieux s’adapter au changement climatique.

La loi initialement prévue pour être présentée en Conseil des ministres en janvier 2024, moment où a commencé une crise agricole historique, qui oblige le gouvernement à la repousser.

Finalement présentée en avril, elle a été entre temps amendée par une bonne partie des revendications portées par la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, syndicat majoritaire) et les JA (Jeunes agriculteurs) pendant le mouvement.

C’est à dire une agriculture toujours plus industrielle et ultralibérale : assouplissement de la gestion des haies, accélération des procédures concernant les projets de retenues d’eau. Les mesures pour favoriser le triptyque robotique-génétique-numérique ont été approuvé, quand en parallèle les objectifs chiffrés sur le développement des surfaces cultivées en agriculture biologique étaient supprimés du code rural.

La victoire du triptyque « robotique-génétique-numérique »

Pour la Confédération paysanne, la priorité est l’installation de paysannes et paysans nombreux qui arrivent à vivre dignement de leur métier sur tout les territoires. Une loi portant une réelle ambition pour un avenir agricole écologique et social aurait du garantir une sécurisation des moyens de production de base : les terres, l’eau, les semences.

Un revenu décent et équitablement répartie entre les acteurs de la profession est aussi une revendication centrale de la Conf’. De même que l’amélioration de la protection sociale alignée sur les autres catégories socio-professionnelles (retraite décente, droit au repos et au remplacement, etc.) seraient des avancées essentielles qui ne sont même pas évoqués dans la loi !

Malgré tout, on notera quelques petites victoires : l’objectif de maintien d’au moins 400 000 exploitations et 500 000 chefs d’exploitation a été conservé (quand la Conf’ revendique l’installation de 1 million de paysans et paysannes !).

Les moyens d’action des SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, censé réguler le marché du foncier agricole) ont été renforcés et le projet de création de GFA-Investissement (Groupe foncier agricole) a été abandonné. Celui-ci ouvrait grand la porte à l’arrivée de capitaux financiers dans la détention sociétaire de terres agricoles.

Une loi spécifiquement sur la question foncière est d’ailleurs dans les cartons du gouvernement. Il faudra encore une fois lutter sur tout les fronts pour défendre une vision paysanne et entraîner le plus grand nombre de personnes dans la lutte car la question des terres agricoles concerne tout le monde.

Même si le combat législatif porté par les organisations professionnelles agricoles progressistes est fastidieux il reste nécessaire. Nul doute que les mobilisations locales et nationales, alliant paysans et paysannes et classes populaires seront les vrais vecteurs du changement de modèle, pour tendre à une agriculture paysanne durable, locale et enfin accessible à toutes et tous.

Vincent (paysan libertaire)

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Pour la deuxième année en Italie, nous avons célébré la Fête de la Libération sous un gouvernement d’extrême droite.

Dans toutes les villes se sont déroulées des manifestations de masse convoquées par l’Associazione Nazionale Partigiani d’Italia avec la participation de syndicats, associations et organisations politiques de la gauche. Cette année, le fait d’être nombreuses et nombreux à remplir les places a eu encore plus de signification car la cheffe du gouvernement Meloni continue à refuser de reconnaître la valeur de l’antifascisme dans l’histoire de l’Italie et se révèle chaque jour plus populiste, en invitant les électeurs et électrices à écrire sur le bulletin des élections européennes simplement son prénom, « Giorgia », en se déclarant une femme et une amie du peuple.

Cent mille antifascistes, de Rome à Milan, ont envahi les rues pour rappeler la lutte partisane contre les nazi-fascistes et pour rappeler à toutes et tous qu’aujourd’hui il est nécessaire de construire la Résistance contre la droite et contre la destruction des droits sociaux et de l’environnement.

Des milliers de drapeaux palestiniens ont flotté en solidarité avec le peuple palestinien, victime de génocide de la part de l’État colonialiste et criminel d’Israël. À Rome, d’autres cortèges et initiatives antifascistes ont eu lieu dans les banlieues pour porter la résistance là où les dommages sociaux créés par le gouvernement de Meloni, et auparavant par ceux de centre-gauche, sont les plus graves.

La manifestation principale s’est conclue à Porta San Paolo, lieu de la bataille du peuple de Rome contre les nazis le 10 septembre 1943, avec le discours d’un camarade partisan, de 97 ans, qui a dit qu’aujourd’hui encore, il serait prêt à reprendre les armes contre les fascistes.

Les camarades d’Alternativa libertaria ont porté dans les rues leur mot d’ordre révolutionnaire «  Vive la Résistance contre le capitalisme  », en faisant appel à l’action politique, sociale et syndicale des travailleurs et travailleuses contre le fascisme, l’exploitation des personnes et de l’environnement par la bourgeoisie. La Résistance au fascisme ne doit pas se manifester par une célébration institutionnelle complètement séparée des résistances actuelles. En mémoire du 25 Avril, nous voulons rappeler la résistance du peuple palestinien et kurde, celle contre les bases militaires et l’expansion du militarisme dans la société, contre la production et le commerce des armes, contre toutes les guerres impérialistes.

Nous voulons rappeler la résistance des jeunes qui protestent et qui sont matraqués par la police, celle des femmes en lutte pour la défense de leurs droits dans une société toujours plus machiste et patriarcale, celle des travailleurs et travailleuses qui luttent contre les licenciements, pour un salaire décent, pour la sécurité sur le lieu de travail et pour une meilleure qualité de vie.

Mais nous ne voulons pas non plus oublier la Résistance directement liée à cette date, à ceux qui ont lutté et ont payé de leur vie pour s’opposer au nazifascisme aujourd’hui ressuscité, parce qu’il est important de conserver et de transmettre la mémoire.

Contre toute frontière, parce que « notre patrie est le monde entier », pour une nature et une humanité libérées de l’exploitation capitaliste sous toutes ses formes, contre le racisme et la répression, contre toute oppression politique et d’État.

En toute circonstance, vive la Résistance au capitalisme !

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L’Union com­mu­niste liber­taire a vu le jour en 2019, suite à la fusion de deux orga­ni­sa­tions : Alternative liber­taire, fon­dée au début des années 1990, et la Coordination des groupes anar­chistes, née une décen­nie plus tard. Forte d’un jour­nal men­suel et d’une cin­quan­taine de groupes et liai­sons sur le ter­ri­toire fran­çais, l’UCL s’inscrit, comme son nom l’indique, dans une tra­di­tion pré­cise : « L’anar­chie et le com­mu­nisme sont les deux termes néces­saires de la révo­lu­tion », lan­çait, peu après la Commune de Paris, l’un de ses fon­da­teurs. L‘UCL invite à la consti­tu­tion, dès à pré­sent, de contre-pou­voirs dans l’ensemble de la socié­té — dans l’espoir de for­mer, à terme, un véri­table double pou­voir. Autrement dit, un pou­voir popu­laire capable de rem­pla­cer le pou­voir d’État puis de tra­vailler à l’instauration d’un ordre social fédé­ré, auto­ges­tion­naire et démo­cra­tique. S’écartant à la fois des hypo­thèses élec­to­rales, de déser­tion et d’appropriation de l’appareil d’État, les ins­pi­ra­tions contem­po­raines de l’UCL sont notam­ment à cher­cher du côté du Mexique et de la Syrie : les zapa­tistes et le Rojava. Dans le cadre de ce dos­sier entiè­re­ment consa­cré aux dif­fé­rentes stra­té­gies de rup­ture avec l’ordre domi­nant, nous avons dis­cu­té avec l’organisation.

La notion de « double pou­voir » reste peu connue. Lénine avan­çait, en avril 1917, que la révo­lu­tion russe « a ceci de tout à fait ori­gi­nal qu’elle a créé une dua­li­té de pou­voir » : la socié­té était cou­pée en deux, entre gou­ver­ne­ment pro­vi­soire bour­geois et Soviets. En termes contem­po­rains, que recouvre cette notion, cen­trale dans votre Manifeste ?

Comme ça ne vous éton­ne­ra sans doute pas, la notion de double pou­voir telle qu’elle est théo­ri­sée par notre orga­ni­sa­tion, com­mu­niste et liber­taire, n’est en rien une réfé­rence à Lénine. Elle s’inscrit dans un pro­ces­sus révo­lu­tion­naire qui fait pas­ser la socié­té d’un contrôle capi­ta­liste éta­tique à ce que nous essayons de construire : une socié­té com­mu­niste liber­taire, auto­gé­rée, fédé­ra­liste. Pour com­prendre ce que nous enten­dons par « contre-pou­voirs », il est impor­tant de défi­nir cette notion. C’est, selon nous, l’ensemble des struc­tures syn­di­cales, orga­ni­sa­tion­nelles, asso­cia­tives et poli­tiques, au sens large, qui visent à une trans­for­ma­tion directe et immé­diate de la socié­té. Dans notre défi­ni­tion, ce sont des orga­ni­sa­tions ayant pour voca­tion d’organiser les masses pour lut­ter contre les domi­na­tions (qu’il s’agisse du patriar­cat, du racisme, du colo­nia­lisme, du vali­disme, etc.) et d’instaurer les soli­da­ri­tés néces­saires pour répondre aux appé­tits des­truc­teurs du capi­ta­lisme et des sys­tèmes d’oppression.

Pouvez-vous nous don­ner quelques exemples ?

Des asso­cia­tions comme le Planning fami­lial, Survie, les assem­blées géné­rales fémi­nistes locales, les col­lec­tifs et asso­cia­tions de lutte LGBTI, les col­lec­tifs de sou­tien aux per­sonnes sans-papiers, ou encore les orga­ni­sa­tions anti­ra­cistes spé­ci­fiques et les col­lec­tifs de lutte contre les vio­lences poli­cières. Nous pen­sons que la révo­lu­tion peut adve­nir au terme d’un pro­ces­sus mar­qué à la fois par des conflits sociaux — la lutte des classes se maté­ria­li­se­ra néces­sai­re­ment dans des conflic­tua­li­tés dues à l’antagonisme des inté­rêts de classes — et des expé­ri­men­ta­tions por­tées par des contre-pou­voirs. En période non révo­lu­tion­naire, les militant·es révo­lu­tion­naires liber­taires doivent donc agir afin que ces contre-pou­voirs se construisent sur des bases auto­ges­tion­naires. Une fois consti­tués, ils ont pour voca­tion, en période pré-révo­lu­tion­naire — c’est-à-dire dans ce temps où le pou­voir éta­tique est débor­dé —, de ser­vir d’armature à un maillage de struc­tures véri­ta­ble­ment démo­cra­tiques, dans les­quelles le pou­voir popu­laire se maté­ria­li­se­ra. C’est dans ce moment de ten­sions fortes, où le pou­voir capi­ta­liste est réel­le­ment remis en cause, que se des­sinent les contours d’un pou­voir popu­laire qui n’est pas pour nous l’État ouvrier léni­niste, mais bien une dyna­mique de démo­cra­tie directe, fédé­ra­liste et contrô­lée par la base. On peut par­ler alors de double pou­voir : au pou­voir éta­tique capi­ta­liste s’opposent fron­ta­le­ment des fédé­ra­tions de pro­duc­teurs, des comi­tés de quar­tier (nous n’avons pas de féti­chisme des appel­la­tions : les pra­tiques nous importent davan­tage)… L’objectif n’est pas de sub­sti­tuer un pou­voir holiste à un autre, mais bien de rem­pla­cer le pou­voir éta­tique par un pou­voir popu­laire hori­zon­tal et autogéré.

Cette révo­lu­tion, per­sonne ne peut aujourd’hui l’anticiper.

Évidemment. Personne ne sait si et quand la révo­lu­tion vien­dra. Mais il est de notre devoir de ne pas res­ter atten­tistes — d’autant plus qu’il s’agit d’une ques­tion de sur­vie face à la bru­ta­li­té de l’exploitation et à la crise cli­ma­tique. S’il suf­fi­sait d’attendre que le capi­ta­lisme s’effondre sous le poids de ses contra­dic­tions pour arri­ver à la révo­lu­tion, le mili­tan­tisme n’aurait pas de rai­sons d’être. Il est donc de notre devoir de militant·es liber­taires de tout mettre en œuvre pour que les condi­tions néces­saires à la révo­lu­tion se déve­loppent : l’investissement dès aujourd’hui dans les contre-pou­voirs est indis­pen­sable. Peut-être pas suf­fi­sant, mais abso­lu­ment nécessaire.

Vous occu­pez une posi­tion sin­gu­lière dans la pen­sée stra­té­gique : vous n’êtes ni favo­rables à la « poé­tique de la révo­lu­tion » du mou­ve­ment auto­nome — émeutes, spon­ta­néisme, séces­sion —, ni, on l’a vu, des nos­tal­giques du par­ti léni­niste. Vous tenez cepen­dant au moment révo­lu­tion­naire comme à un moment de bas­cule : il y aura un avant et un après.

Notre posi­tion n’est pas si sin­gu­lière, de notre point de vue. Nous nous ins­cri­vons dans une lignée déjà ancienne, dans une tra­di­tion révo­lu­tion­naire que l’on peut faire remon­ter à l’Internationale anti-auto­ri­taire de 1872, qui est née de la rup­ture d’avec les mar­xistes ortho­doxes. Depuis, des géné­ra­tions de révo­lu­tion­naires se sont suc­cé­dé. Les liber­taires ont été de tous les com­bats et nous avons su tirer quelques leçons des erreurs du pas­sé. Ces débats sont anciens. On pour­rait citer Malatesta qui pro­meut le gra­dua­lisme face à Kropotkine. Son idée, rapi­de­ment résu­mée, c’est de dire qu’il est peu pro­bable que les condi­tions requises pour une révo­lu­tion anar­chiste adviennent toutes prêtes, et qu’il est donc néces­saire de pré­pa­rer la révo­lu­tion en s’emparant dès que pos­sible de tout ce qui peut être gagné contre l’État et le capi­tal — ce qui par­ti­cipe à affai­blir leur pou­voir. Plus proche de nous, dans les débats qui ont agi­té les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires dans la période d’après 68, certain·es ont fait le choix d’être dans la construc­tion de ces contre-pou­voirs, notam­ment via l’investissement syn­di­cal, en se gar­dant à dis­tance de deux impasses : le léni­nisme et le nihi­lisme. La concep­tion léni­niste du par­ti révo­lu­tion­naire n’a pas été — et ne sera jamais, selon nous — en mesure de mener une révo­lu­tion au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire une révo­lu­tion glo­bale des formes éco­no­miques, sociales, poli­tiques et cultu­relles de la socié­té. De même, s’en remettre com­plè­te­ment à la spon­ta­néi­té n’est pas pour nous une option, d’autant plus que « Tout ce qui bouge n’est pas rouge », comme dit le pro­verbe… Le moment révo­lu­tion­naire, c’est donc ce moment où les forces sociales, les contre-pou­voirs, sont en mesure, non plus de défier le pou­voir éta­tique-capi­ta­liste, mais de s’y sub­sti­tuer : c’est le « double pou­voir », comme nous l’avons dit.

Une fois ce stade atteint, il sera pri­mor­dial de conti­nuer à orien­ter ce pro­ces­sus révo­lu­tion­naire dans un sens auto­ges­tion­naire afin d’amener le der­nier stade de trans­for­ma­tion sociale que nous défen­dons, à savoir le pou­voir popu­laire. Que nous vou­lons d’essence liber­taire. La bureau­cra­ti­sa­tion de ce pro­ces­sus — en ce qu’elle signi­fie­rait la fin de l’extension du pou­voir popu­laire à tous les domaines de la socié­té pour s’en remettre à une force supé­rieure qui agi­rait en son nom — signe­rait alors la mort du pro­ces­sus révo­lu­tion­naire. Par contre, il ne nous est pas pos­sible de dire aujourd’hui quelle forme pren­dra exac­te­ment ce moment révo­lu­tion­naire, la par­ti­cu­la­ri­té des liber­taires étant que nous n’avons pas de petit livre, fût-il rouge et noir, qui nous don­ne­rait par avance la marche à suivre et une pho­to­gra­phie de la révo­lu­tion à venir. Pour autant, nous n’estimons pas être dans une logique de « lais­ser faire ». De même, nous ne par­tons pas du prin­cipe que la « bonne volon­té popu­laire » sau­ra trou­ver d’elle-même l’ensemble des réponses aux ques­tions que posent néces­sai­re­ment les périodes de troubles que repré­sentent les révolutions.

D’où, on le devine, l’existence de votre organisation ?

L’une des rai­sons d’être de l’UCL est aus­si de trou­ver dans notre pra­tique poli­tique au quo­ti­dien des réponses poten­tielles aux ques­tion­ne­ments légi­times qu’amènent un cham­bou­le­ment total de la socié­té et le ren­ver­se­ment de l’ordre éta­bli. C’est ce que certain·es cama­rades de la FOB Autónoma (Federación de Organizaciones de Base) d’Argentine appellent la « pra­tique pré­fi­gu­ra­tive » : elle fait émer­ger dans le pré­sent les solu­tions pour la construc­tion d’un monde sans État pour demain, que nous tâchons de faire vivre dans notre orga­ni­sa­tion et dans les contre-pou­voirs que nous investissons.

Votre orga­ni­sa­tion est de taille modeste. Et vous faites effec­ti­ve­ment savoir que le rôle des com­mu­nistes liber­taires sera de « contri­buer à orien­ter le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire vers une solu­tion auto­ges­tion­naire ». Comment ima­gi­nez-vous pou­voir gagner en influence ?

Par nos pra­tiques auto­ges­tion­naires mises en œuvre dès à pré­sent, dans les luttes que nous ani­mons ! Cette « poé­tique de la révo­lu­tion » peut être atti­rante pour certain·es. Elle donne des textes enflam­més. Mais, au final, elle ne parle pas à grand monde et n’aboutit pas à grand-chose. Quant aux expé­riences mar­xistes-léni­nistes, elles ont mon­tré leur inef­fi­ca­ci­té du point de vue révo­lu­tion­naire — enten­du que la révo­lu­tion ne consiste pas à sub­sti­tuer un pou­voir à un autre, une oli­gar­chie à une autre, fussent-ils repeints en rouge. C’est dans cette logique que nous ne pen­sons pas l’implication des militant·es de l’UCL au sein de ces contre-pou­voirs comme étant une pra­tique d’avant-garde. Il ne s’agit pas pour nous d’en impo­ser par le nombre, en agis­sant à des postes de res­pon­sa­bi­li­té au sein de ces struc­tures pour en prendre le contrôle ou en les uti­li­sant pour faire gros­sir nos rangs, mais de dif­fu­ser des pra­tiques et des outils auto­ges­tion­naires et de démo­cra­tie directe, en accord avec une éthique mili­tante qui vise à être la plus irré­pro­chable pos­sible. C’est ce rôle que nous défi­nis­sons par l’appellation « ani­ma­teurs et ani­ma­trices auto­ges­tion­naires des luttes ».

Nous voyons à tra­vers les expé­riences du Chiapas ou du Rojava — mal­gré leurs limites — que le fédé­ra­lisme et l’autogestion sont mieux à même de por­ter des pro­jets révo­lu­tion­naires et éman­ci­pa­teurs. Quant aux luttes contre les grands pro­jets capi­ta­listes, comme les ZAD, nous voyons bien qu’elles ne se font pas en réfé­rence à une avant-garde révo­lu­tion­naire qui pré­fi­gu­re­rait le grand par­ti des tra­vailleurs, mais qu’elles sont bien plus proches d’une vision liber­taire de l’existence. Ce ne sont que des exemples par­mi de nom­breux autres, qui montrent que l’influence des pra­tiques auto­ges­tion­naires que nous por­tons peut avoir une inci­dence tout à fait déter­mi­nante dans les luttes qu’il nous reste à mener. Il est de notre rôle de militant·es révo­lu­tion­naires liber­taires de faire le lien entre ces expé­riences et des pra­tiques quo­ti­diennes dans les contre-pou­voirs dans les­quels nous sommes investi·es — et en pre­mier lieu les syndicats.

Vous louez une concep­tion « moderne » du pro­lé­ta­riat. Il serait donc pos­sible de déta­cher ce mot du sens qu’il a dans l’imaginaire col­lec­tif, à savoir les tra­vailleurs des usines ?

On pour­ra sur ce point se réfé­rer à Marx : le pro­lé­ta­riat désigne celles et ceux qui n’ont pour vivre — et sou­vent sur­vivre — que le choix de vendre leur force de tra­vail, celles et ceux qui sont privé·es du capi­tal et de la pro­prié­té des moyens de pro­duc­tion. Il est indis­pen­sable de faire sor­tir le pro­lé­ta­riat de cette ima­ge­rie d’Épinal, qui le fan­tasme uni­que­ment sous les traits d’un ouvrier blanc en blouse bleue ! Les enseignant·es, les caissier·es, les infirmier·es, les manu­ten­tion­naires, les serveur·ses : toutes et tous sont des pro­lé­taires. De même qu’aujourd’hui le pro­lé­ta­riat ne se retrouve pas uni­que­ment dans le tra­vail sala­rié. L’ubérisation de l’économie a fait sor­tir du sala­riat des per­sonnes — aux­quelles on donne le sta­tut d’auto-entrepreneurs —, qui sont objec­ti­ve­ment des pro­lé­taires, tout autant que les per­sonnes pri­vées de tra­vail. Du reste, le pro­lé­ta­riat ne subit pas de manière équi­va­lente l’exploitation éco­no­mique qui, d’ailleurs, ne peut être prise comme seul point de réfé­rence. C’est parce que nous adop­tons tou­jours un angle maté­ria­liste que nous nous appuyons sur une grille de lec­ture inter­sec­tion­nelle, issue du Black femi­nism des années 1970, comme ont pu le faire avant nous d’autres orga­ni­sa­tions anar­chistes. Les sec­teurs fémi­ni­sés — comme ceux de l’aide à la per­sonne, du ménage — sont les lieux où s’exprime le plus l’exploitation éco­no­mique, qui se cumule avec l’exploitation éco­no­mique des femmes par les hommes à la mai­son, mais aus­si les dis­cri­mi­na­tions racistes, sexistes et LGBTIphobes qui pré­ca­risent les pro­lé­taires concerné·es, que ce soit par des salaires moindres, l’accès au loge­ment, aux soins… Le pro­lé­ta­riat ne peut plus être per­çu comme un corps uni­forme qui subi­rait de manière sys­té­ma­tique et égale une même exploi­ta­tion au sein du monde capi­ta­liste. C’est encore plus évident si l’on prend en consi­dé­ra­tion le colo­nia­lisme et son expres­sion la plus bru­tale, dont béné­fi­cient les pays colo­ni­sa­teurs. C’est aus­si pour ça qu’il nous paraît essen­tiel de prendre notre part dans les luttes inter­na­tio­nales et anti­co­lo­niales, en étant autant présent·es sur les luttes anti­ca­pi­ta­listes que sur les luttes fémi­nistes et écologistes.

Que recouvre le « rôle cen­tral » que vous attri­buez au pro­lé­ta­riat ain­si défini ?

Il pro­cède de sa posi­tion dans le sys­tème éco­no­mi­co-social capi­ta­liste. C’est parce qu’il est au cœur de l’exploitation capi­ta­liste que le pro­lé­ta­riat a un « rôle cen­tral ». C’est parce qu’il expé­ri­mente quo­ti­dien­ne­ment l’exploitation dans la vente de sa force de tra­vail que le pro­lé­ta­riat a un « rôle cen­tral » (tan­dis que les capi­ta­listes en retirent les béné­fices). C’est aus­si parce que la ou le pro­lé­taire expé­ri­mente auprès des autres pro­lé­taires la réa­li­té de l’exploitation en même temps que la conscience que celle-ci relève d’un ordre sys­té­mique. C’est enfin parce que les pro­lé­taires sont au centre des domi­na­tions mul­tiples (éco­no­miques comme sociales) qu’ils et elles sont plus à même de les com­prendre, de s’organiser et d’agir concrè­te­ment contre ce qui nous pour­rit tou­jours plus la vie. C’est dans cette logique que nous sommes certain·es que nous n’avons pas besoin d’instance supé­rieure pour nous dic­ter les modes d’organisation et la struc­ture de la socié­té qui est la plus à même de nous appor­ter l’émancipation. Simplement dit, c’est nous qui pro­dui­sons, c’est nous qui subis­sons, donc c’est nous qui déci­dons. Notre ana­lyse est dic­tée par la nature même de l’exploitation sys­té­mique du capitalisme.

Le syn­di­ca­lisme pour­ra être « poten­tiel­le­ment, demain, un acteur indis­pen­sable de la socia­li­sa­tion des moyens de pro­duc­tion, néces­saire pour bas­cu­ler dans une autre socié­té », écri­vez-vous. On se sou­vient éga­le­ment de votre défense de la CGT, en mai der­nier, suite aux attaques anti­syn­di­cales. Quelle est la place du syn­di­ca­lisme au sein de votre dispositif ?

Ce n’est pas tant la CGT que nous défen­dions alors qu’un prin­cipe révo­lu­tion­naire. S’en prendre phy­si­que­ment à des pro­lé­taires organisé·es, quelle que soit la nature des reproches que l’on puisse faire à la CGT, à son ser­vice d’ordre ou aux autres struc­tures syn­di­cales, c’est tout sim­ple­ment agir contre son camp. Notre enne­mi, aujourd’hui, n’est clai­re­ment pas incar­né par les struc­tures syn­di­cales, dont on peut regret­ter, de l’extérieur — ce qui est tou­jours plus facile — qu’elles soient défaillantes sur cer­tains points, mais bien par les capi­ta­listes. La CGT est, qu’on le veuille ou non, une orga­ni­sa­tion de masse et de classe, quoi qu’on pense de son orga­ni­sa­tion interne, de son fonc­tion­ne­ment ou de ses choix stra­té­giques. Il n’existe pas aujourd’hui de contre-pou­voir qui ait la poten­tia­li­té révo­lu­tion­naire des syn­di­cats. Certain·es peuvent le regret­ter, mais c’est un fait. Les syn­di­cats portent les germes d’une socié­té com­mu­niste liber­taire que nous sou­hai­tons voir émer­ger, dans le sens où l’un des objec­tifs his­to­riques du syn­di­ca­lisme est la des­truc­tion du capi­ta­lisme. C’est éga­le­ment au sein des syn­di­cats qu’on peut, dès aujourd’hui, construire des contre-pou­voirs qui seront de nature à se sub­sti­tuer à l’État et aux capi­ta­listes en période pré-révolutionnaire.

La socia­li­sa­tion de la socié­té pas­sant néces­sai­re­ment notam­ment par la socia­li­sa­tion des moyens de pro­duc­tion, les syn­di­cats sont de ce point de vue incon­tour­nables si nous vou­lons main­te­nir la pro­duc­tion néces­saire à la sur­vie de tous et toutes. Dès lors, il nous paraît évident que les militant·es révo­lu­tion­naires liber­taires doivent s’investir syn­di­ca­le­ment et par­ti­ci­per à la dif­fu­sion de pra­tiques hori­zon­tales et inter­pro­fes­sion­nelles sur la base du syn­di­ca­lisme d’industrie. Il s’agit, pour faire un paral­lèle avec la double besogne assi­gnée aux syn­di­ca­listes par la charte d’Amiens1, de construire aujourd’hui des pra­tiques syn­di­cales de luttes auto­ges­tion­naires, et de pré­pa­rer demain la socia­li­sa­tion de l’économie.

Mais on ne peut pas nier la perte d’influence des syn­di­cats dans le monde du travail…

Elle est réelle et mul­ti­fac­to­rielle. Elle doit être appré­hen­dée et ana­ly­sée de façon objec­tive. La répres­sion féroce de la part du patro­nat et de l’État, la pro­pa­gande anti­syn­di­cale faite par des médias à leurs ordres sont évi­dem­ment à citer. Le peu de vic­toires obte­nues face à des gou­ver­ne­ments qui refusent la démo­cra­tie et imposent leurs dik­tats est aus­si à prendre en compte. Les méthodes auto­ri­taires qu’ont eues à subir les syn­di­ca­listes ces der­nières décen­nies, l’influence (heu­reu­se­ment très clai­re­ment en perte de vitesse) des sta­li­niens dans cer­tains syn­di­cats ain­si que l’éclatement du syn­di­ca­lisme de lutte sont aus­si très cer­tai­ne­ment en cause. Par ailleurs, si nous pen­sons que le syn­di­cat revêt une impor­tance stra­té­gique pri­mor­diale, il n’est pas le seul contre-pou­voir à inves­tir. Les luttes anti­ra­cistes, anti­pa­triar­cales et éco­lo­giques vont au-delà du champ du tra­vail : elles sont des luttes trans­ver­sales qui doivent être prises en compte par les syn­di­cats. Elles per­mettent d’amener des per­sonnes jusqu’ici non impli­quées à appré­hen­der l’importance du syn­di­ca­lisme et à se syn­di­quer. Ces luttes renou­vellent et ren­forcent le syn­di­ca­lisme : elles ne sont ni sub­si­diaires, ni subor­don­nables. Elles tra­versent toute la socié­té et repré­sentent autant de contre-pou­voirs agis­sant direc­te­ment sur sa trans­for­ma­tion. S’il est pour nous essen­tiel de les faire vivre aus­si au sein de nos syn­di­cats, nous ne pen­sons pas que ce seul outil puisse suffire.

Pour quelle raison ?

Car, pré­ci­sé­ment, l’oppression ne s’exerce pas seule­ment au tra­vail. Il est donc vital pour nous de faire exis­ter ces com­bats par­tout où c’est néces­saire. Nos vies et les dif­fé­rentes formes d’oppression que nous subis­sons ne se réduisent pas à l’exploitation sala­riale. C’est en pre­nant en compte tous ces aspects que nous ren­for­ce­rons notre classe et crée­rons de réelles soli­da­ri­tés en lut­tant contre toutes les domi­na­tions — qui seront autant de leviers néces­saires à une stra­té­gie révolutionnaire.

Dans Maintenant, le Comité invi­sible avance que « le vieux mythe de la grève géné­rale est à ran­ger au rayon des acces­soires inutiles ». Vous en faites, vous, « une visée stra­té­gique, struc­tu­rant [votre] action ». Pourquoi ?

Pour les rai­sons que nous venons d’évoquer. Le tout n’est pas de dire « On veut faire la révo­lu­tion », mais de voir concrè­te­ment com­ment on s’organise au sein du pro­lé­ta­riat, com­ment on se donne les moyens de peser, de mas­si­fier nos posi­tions. La grève géné­rale ne se décrète pas : elle se construit dans et par les luttes. Et ce sont ces luttes qui vont construire tout à la fois une conscience de classe et des pra­tiques d’action et d’organisation que nous sou­hai­tons voir se géné­ra­li­ser. Cette stra­té­gie poli­tique per­met de mettre en appli­ca­tion l’ensemble des théo­ries et pra­tiques poli­tiques que nous défen­dons. La plu­part des sou­lè­ve­ments d’ampleur qui ont eu lieu ces der­nières années se sont appuyés sur la grève géné­rale pour faire adve­nir un monde plus éga­li­taire. Puisque la grève géné­rale se construit dans et par les luttes, ça ne peut pas se faire sans une prise en compte de la mul­ti­pli­ci­té des sys­tèmes de domi­na­tion. Car, à l’inverse de cer­tains cou­rants poli­tiques, nous ne pen­sons pas que les luttes anti­ra­cistes ou fémi­nistes, par exemple, divisent le camp des exploité·es : au contraire, elles le ren­forcent et per­mettent son uni­té. Les grèves des femmes qui, dans nombre de pays, ont été des réus­sites en sont un des exemples les plus frap­pants. Elles nous rap­pellent que la grève géné­rale n’est pas un mythe pous­sié­reux mais une pers­pec­tive révo­lu­tion­naire tou­jours vivante. S’il n’existe pas de « bou­ton magique » per­met­tant de la faire appa­raître, l’expérience de l’Histoire et de nos cama­rades à l’international nous démontre bien qu’elle doit être au contraire cen­trale dans notre pers­pec­tive et nos visées poli­tiques. Elle n’est donc pas un féti­chisme mais une visée prag­ma­tique, consé­quence de l’opposition radi­cale des inté­rêts de notre classe qui fait « tour­ner la machine », comme on dit, d’avec la classe des capitalistes.

Face aux « risques de mili­ta­ri­sa­tion ou d’ordre poli­cier » qui, évi­dem­ment, appa­raî­tront en cas de chan­ge­ment révo­lu­tion­naire, vous envi­sa­gez la construc­tion de « struc­tures d’autodéfense ». Qu’est-ce que ça recouvre, concrè­te­ment ? Une « garde civile », ain­si que le pen­seur éco­lo­giste et com­mu­na­liste Murray Bookchin l’a théo­ri­sée pour « répondre aux menaces exté­rieures » ?

La notion de « garde civile » est peu déve­lop­pée chez Bookchin. Il est dif­fi­cile, pour des liber­taires, de pen­ser en détail des struc­tures néces­sai­re­ment plu­rielles et auto­gé­rées dans le cadre d’une révo­lu­tion liber­taire. A for­tio­ri quand on parle d’autodéfense, parce que notre ima­gi­naire est sub­mer­gé, satu­ré d’images et de repré­sen­ta­tions construites par nos enne­mis. Là encore, l’Histoire nous apprend que les formes de ce type de struc­tures peuvent être plu­rielles : on pense notam­ment à l’Ukraine de 1918 à 1921, la Catalogne en 1936-1937 ou, plus près de nous, au Chiapas ou au Rojava. Mais les condi­tions maté­rielles qui appa­raî­tront lors de ces chan­ge­ments révo­lu­tion­naires, et qu’on ne peut par avance décrire, comp­te­ront pour beau­coup dans la forme que pren­dront ces struc­tures d’autodéfense. Une par­tie des forces de l’ordre, poli­ciers et mili­taires, pren­dront-ils les armes contre leurs maîtres ? Ces chan­ge­ments révo­lu­tion­naires se feront-ils sur un temps court et de très fortes ten­sions, ou naî­tront-elles d’un long pro­ces­sus de déli­te­ment du pou­voir cen­tral ? Là encore, on n’a pas de petit manuel rouge ou rouge et noir qui nous le dit. En atten­dant, il faut l’avoir en tête et inté­grer dès à pré­sent les pra­tiques d’autodéfense comme fai­sant par­tie du bagage de base de tout·e militant·e : les SO en manif, l’autodéfense numé­rique, la sécu­ri­té des cama­rades, etc., ne doivent pas être le fait de quelques militant·es. Nous pen­sons que les outils essen­tiels à l’autodéfense de notre classe doivent être plu­riels et qu’il nous appar­tient de les dif­fu­ser : ils ne doivent pas être l’apanage de petits groupes spé­cia­li­sés. D’ailleurs, l’autodéfense telle que vue par des com­mu­nistes liber­taires répond aux mêmes prin­cipes que toutes les autres struc­tures : man­dats impé­ra­tifs et révo­cables, hori­zon­ta­li­té, auto­ges­tion. Il ne s’agit pas pour nous de repro­duire une vision viri­liste et vali­diste de l’autodéfense, mais bien de pro­mou­voir la force du col­lec­tif face aux dif­fé­rentes menaces que nous sommes amené·es à croiser.

Votre pro­jet est clai­re­ment anti-éta­tiste. Socialisme ou Barbarie avan­çait, par la voix de Castoriadis, qu’aucune socié­té moderne ne pou­vait se pas­ser de cen­tra­li­sa­tion. L’organisation a donc pro­mu la consti­tu­tion d’un Gouvernement des Conseils autour d’une Assemblée cen­trale. Comment votre « fédé­ra­lisme » pense-t-il les tâches d’ampleur natio­nale — entre cent : le déman­tè­le­ment coor­don­né des cen­trales nucléaires ?

Castoriadis avait tort ! Le fédé­ra­lisme est une notion qui nous paraît comme émi­nem­ment contem­po­raine. C’est encore un prisme qui marque beau­coup de ces intellectuel·les radi­caux chics : Frédéric Lordon ou Andreas Malm, par exemple. Ils ont en com­mun le fait d’être très radi­caux dans les dénon­cia­tions des méfaits de ce sys­tème, mais d’être inca­pables de pen­ser le dépas­se­ment de l’État et du cen­tra­lisme éta­tique. Nous pen­sons qu’il est néces­saire de dépas­ser l’État pour qu’advienne une socié­té réel­le­ment auto­ges­tion­naire. Alors, évi­dem­ment, une fois ceci posé, plu­sieurs ques­tions viennent. Elles ne sont pas toutes dénuées de per­ti­nence — comme la vôtre sur le déman­tè­le­ment des cen­trales : mais c’est une ques­tion qu’il convien­dra de débattre dans le cadre des struc­tures issues du syn­di­ca­lisme et des conseils locaux concer­nés, étant enten­du que, pour ce qui est du nucléaire, on est à une large échelle. Le déman­tè­le­ment des cen­trales n’est pas du res­sort natio­nal mais de l’ensemble des ter­ri­toires concer­nés. Là encore, on est pris dans le prisme de notre socia­li­sa­tion dans un sys­tème natio­na­lo-éta­tique. Prenons le cas de la cen­trale de Fessenheim : elle est qua­si­ment sur la fron­tière avec l’Allemagne et toute proche de la Suisse. Ajoutons que ce qui per­met l’existence du nucléaire civil repose aus­si sur une logique inter­na­tio­nale très liée à la ques­tion du colo­nia­lisme, laquelle logique peut être per­tur­bée par l’avènement de conflits d’ampleur dans les pro­duits pro­duc­teurs — comme on peut l’observer actuel­le­ment au Kazakhstan. On voit bien à tra­vers ce simple exemple que la dimen­sion natio­nale n’est pas si per­ti­nente que ça pour abor­der un pro­blème macro-social.

L’organisation fédé­rale, au niveau des ter­ri­toires comme des tra­vailleuses et des tra­vailleurs, en inté­grant les besoins directs des per­sonnes concer­nées, serait beau­coup plus à même de mener à bien — c’est-à-dire concrè­te­ment et dans le res­pect abso­lu de la sécu­ri­té des popu­la­tions — le déman­tè­le­ment d’une cen­trale. En tout cas, bien mieux que ne le ferait un État capi­ta­liste sou­mis aux inté­rêts éco­no­miques. Ou un État dit « ouvrier » gou­ver­né d’en haut, sans prise sur les réa­li­tés du ter­rain. L’exemple de la pan­dé­mie que nous tra­ver­sons est aus­si une bonne manière d’appréhender la néces­si­té d’une coopé­ra­tion inter­na­tio­nale, que peut lar­ge­ment favo­ri­ser un fonc­tion­ne­ment hori­zon­tal élar­gi à l’échelle pla­né­taire. De même, à l’UCL, nous reven­di­quons la socia­li­sa­tion et l’autogestion des moyens de san­té. Ce qui ne peut être envi­sa­gé ni à une échelle éta­tique, ni à une échelle loca­liste. La pan­dé­mie est mon­diale, il est donc néces­saire d’appliquer une stra­té­gie d’union qui ne crée pas de concur­rence entre les régions du monde. Aujourd’hui, nous le voyons bien : mal­gré les consen­sus et pré­co­ni­sa­tions scien­ti­fiques, c’est l’arbitraire éta­tique qui décide et dicte l’agenda sani­taire. Rappelons que l’État fran­çais, très tôt dans la pan­dé­mie, a fait le choix de pla­cer la ges­tion sani­taire sous la res­pon­sa­bi­li­té d’un conseil de défense, inter­di­sant de fait tout regard sur le pro­ces­sus de prise de déci­sion. Alors que l’État accé­lère le calen­drier vac­ci­nal pour la troi­sième dose de vac­cin contre le Covid, d’autres régions du monde peinent à atteindre les pre­miers objec­tifs de vac­ci­na­tion. Or, tout comme un nuage radio­ac­tif, le virus et ses variants ne sau­raient s’arrêter à une fron­tière. Cette logique sani­taire à double vitesse, pen­sée à l’échelle natio­nale, est mor­ti­fère. Elle ne peut que pro­lon­ger, voire aggra­ver la pandémie.

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La lutte contre l’extrême droite n’est pas seulement une affaire électorale, elle se joue également au niveau syndical. Les prises de position de plusieurs centrales syndicales contre le Rassemblement national, appelant à faire barrage dans les urnes, nous rappellent qu’historiquement les syndicats se sont toujours opposés à l’extrême droite. Des années 1930 à l’époque de Vichy, des syndicalistes se sont levé·es pour dire en quoi le projet politique de l’extrême droite s’oppose au syndicalisme.

L’extrême droite est puissante, c’est un fait. Son importance en France s’ajoute à sa poussée en Europe comme l’ont démontré ces élections européennes. Déjà aux manettes de plusieurs États européens, bien souvent dans le cadre de coalitions, ses idées ont infusé à un tel point que désormais les leaders de la droite nouent des alliances et qu’ils n’ont pas besoin d’être au pouvoir pour que des éléments de leur programme soient appliqués par d’autres, à l’image de la loi immigration proposée par le gouvernement français et adoptée avec les voix du RN. Aujourd’hui les affronter devient donc difficile. Mais un acteur n’entend pas transiger avec eux, en dépit même parfois de ses militant·es : les syndicats. Encore ces jours-ci, ceux-ci prenaient position à cinq (CFDT, CGT, FSU, Solidaires et UNSA) pour engager toutes leurs forces militantes à s’opposer à l’arrivée au pouvoir du parti de Marine Le Pen, qui atteste de leur opposition de principe et fondamentale à l’égard de l’extrême droite [1]. Ces syndicats n’avaient pas attendu d’avoir la confirmation par les urnes des intentions prêtées aux électeurs et aux électrices par les sondeurs, et l’annonce stupéfiante du président de la République, pour affronter le danger. Ainsi, le 16 avril, la CGT et la CFDT se sont réunies avec d’autres syndicats européens à la Bourse du travail de Paris pour débattre de l’influence de l’extrême droite sur le lieu de travail et sur les moyens de la combattre [2], démontrant ainsi leur attachement à un engagement pris depuis longtemps, qui remonte aux premières percées du Front national aux élections municipales au début des années 1980.

Les formes de l’opposition à l’extrême droite s’expriment différemment suivant les organisations, en lien avec leur propre histoire et les principes défendus. Mais cette opposition est bien réelle, quasi identitaire pour les syndicats qui portent en eux-mêmes une vision des rapports sociaux contraire au projet sociétal de l’extrême droite. Ce n’est pas un hasard s’ils sont régulièrement attaqués par les différentes figures de ce camp, de Louis Aliot pour qui les syndicats « ne servent à rien » à Marine Le Pen qui ne se prive d’aucune occasion pour contester leur légitimité ou le bien-fondé de leur action [3]. Au-delà des mots, ce sont également les locaux syndicaux qui sont aussi souvent ciblés par l’extrême droite de rue, et notamment ceux de Solidaires et de la CGT.

1934 : face au danger fasciste, les deux CGT se réunissent

Pour comprendre l’opposition syndicale à l’extrême droite, il faut revenir à ce qu’il s’est passé en 1940 ou en 1958, plus encore que ce qui a été fait lors du Front populaire. À l’époque, à la suite du coup de force orchestré par les ligues d’extrême droite le 6 février 1934, les deux principales forces syndicales d’alors, la CGT et la CGTU, séparées depuis 1921, décident de se réunifier dans une seule organisation : il fallait « faire fron » [4]. Manifester ensemble comme elles l’ont fait au lendemain de l’événement, le 12 février, ne suffisait pas : il fallait acter l’unité des forces contre l’ennemi. Cela amène au congrès commun de Toulouse en mars 1936, préparé pendant de longs mois (le processus de réunification avait été lancé dès l’automne 1934 par des premières rencontres officielles entre dirigeants alors que déjà, à la base, des syndicats s’unissaient sans attendre les consignes confédérales) [5]. Les syndicats avaient anticipé le mouvement plus global de la gauche dans son ensemble, qui se montra prête à s’unir quand le danger d’une extrême droite au pouvoir prit forme.

En 1940, leur posture face à Vichy montre davantage ce qui les oppose fondamentalement à ce courant politique d’inspiration fasciste : cela commence avec la signature d’un texte commun, « le syndicalisme français, ce qu’il demeure, ce qu’il doit devenir » (connu ultérieurement sous le nom de « Manifeste des Douze ») [6].

Après la publication par Vichy le 9 novembre d’un décret annonçant la dissolution immédiate des centrales syndicales, ne permettant qu’aux structures locales d’exister, douze leaders syndicaux, trois de la CFTC et neuf de la CGT, apposent leur nom au bas d’un texte qui, sans être révolutionnaire, attaque la conception de l’État français du maréchal Pétain et son organisation sociale.

Le syndicalisme contre le corporatisme

Deux principes sont ardemment défendus dans le Manifeste : la pluralité syndicale et l’indépendance à l’égard de l’État. Face à la volonté de concevoir un syndicat unique qui lui enlèverait toute autonomie en le plaçant dans la même structure que le patronat, suivant le modèle corporatiste (ce qui sera mis en œuvre sous la forme de comités sociaux d’établissement), le texte fait valoir le principe premier de la liberté syndicale (choix d’adhérer ou non à un syndicat) et le libre choix de son organisation. S’il reconnaît à l’État son rôle dans le bon fonctionnement économique et sa nécessité de jouer un rôle d’arbitre, le syndicalisme ne saurait toutefois s’y soumettre, ce qui est résumé par la formule suivante :« le syndicalisme ne peut pas prétendre absorber l’État. Il ne doit pas non plus être absorbé par lui ». Face au projet pétainiste, en partie élaboré par un ancien syndicaliste, René Belin, qui se voulait héritier de la doctrine sociale chrétienne et faisait disparaître la lutte de classe, soit des objectifs partagés dans ce manifeste, la signature de ces syndicalistes, en particulier chrétiens, est symptomatique. D’autres responsables ont d’ailleurs accepté de participer à la Charte du travail du régime de Vichy. Mais il est des principes qui demeurent intangibles et qui expliquent l’adhésion de ces dirigeants au manifeste et leur entrée dans la Résistance, au nom de cette défense de la liberté, un principe qu’ils reprendront ensuite à la Libération en refusant la centrale unique envisagée par la CGT dans la prolongation du « Comité d’entente interconfédéral » à l’œuvre depuis mai 1944. La CGT avait initialement proposé l’établissement d’une plateforme d’unité d’action pour parvenir à l’unité organique (septembre 1944) puis avait soumis l’idée d’une fusion (mars 1945).

Pas de discrimination raciale pour les syndicats

Le « Manifeste des Douze » montre aussi une opposition claire et nette face à toute forme de xénophobie et d’antisémitisme alors que le régime vient de promulguer son décret sur les Juifs, les excluant de certaines professions et en faisant d’eux une catégorie à part des citoyens français. Face à ces lois, le texte récuse toute discrimination : « le syndicalisme français ne peut admettre entre les personnes de distinctions fondées sur la Race, la Religion, la Naissance, les Opinions, ou l’Argent. Chaque personne humaine est également respectable », condamnant explicitement l’antisémitisme. À chaque fois, la CFTC a refusé de s’engager dans quoi que ce soit qui aille au-delà de l’unité d’action, arguant du pluralisme syndical comme « l’une des expressions les plus hautes de l’exercice de la liberté et de la démocratie »  [7].

Contre le coup d’état de De Gaulle

1958 est un autre moment-clé qui témoigne de l’engagement des syndicats dans la défense des principes démocratiques et le respect de l’État de droit. La CGT et celle qui est encore la CFTC participent à la manifestation du 28 mai 28 mai qui visait à défendre la légalité républicaine et « les libertés démocratiques » contre la prise de pouvoir de De Gaulle à la suite à l’insurrection orchestrée par les Français d’Algérie et l’armée le 13 qui avait amené la constitution d’un Comité de salut public à l’origine de l’appel à De Gaulle. Dans les jours qui suivirent, alors que De Gaulle, sans condamner le coup de force, affichait sa disponibilité à prendre « la tête d’un gouvernement de la République », et que l’armée orchestrait la montée en pression sur le territoire (un comité de salut public institué en Corse, la possibilité d’un coup d’État communiste annoncée régulièrement), Pflimlin acceptait de démissionner sous pression du président René Coty. De Gaulle pouvait être alors nommé Président du conseil aux conditions qu’il avait lui-même fixées, à savoir les pleins pouvoirs pendant six mois pour modifier la constitution. Le cortège du 28 mai ne réunit toutefois que 200 000 manifestant·es, démontrant que si les états-majors syndicaux avaient tenu bon sur leurs principes, les bases militantes, elles, n’avaient guère envie de défendre le régime de la IVe République.

Aujourd’hui, ces idéaux continuent à alimenter le combat contre l’extrême droite. Certes, le programme du RN n’en vient pas à proposer la dissolution des organisations syndicales. Mais, dans « la grande réforme des syndicats » telle qu’elle a été présentée lors des dernières campagnes présidentielles, il s’agit bien de limiter la déjà maigre étendue de leur pouvoir et de se placer implacablement aux côtés du patronat. C’est le sens porté par exemple de l’interdiction des piquets de grève ou du vote préalable de l’ensemble des salarié·es à tout arrêt de travail (annoncés un temps comme la réforme des élections professionnelles ou de la représentativité pour affaiblir les syndicats existants).

Le « projet syndical » du RN a un arrière-gout d’années 40

Au fond, c’est le même projet, en 1940 comme aujourd’hui, avec ces inflexions propres au caractère de l’histoire qui « ne se répète pas » : en tant qu’auto-organisation des travailleurs et travailleuses qui refusent de se ranger benoîtement derrière le chef désigné, les syndicats doivent être reconnus dans leur légitimité à porter de façon complètement autonome la parole salariée avec les moyens qu’ils choisissent de se donner, dans le cadre d’un État de droit. Leur nier cette capacité, c’est nier le principe même de leur existence.

Aujourd’hui, c’est au nom de cette incompatibilité que la plupart des organisations syndicales excluent les membres qui figurent sur une liste RN ; c’est au nom de ces principes qu’elles peuvent aller jusqu’à la consigne de vote selon des modalités diverses. Cela ne signifie pas que le syndicalisme est immunisé contre l’extrême droite – les enquêtes d’opinion montrer que les adhérent·es à leurs idées progressent au sein des syndicats –, mais ces luttes, au sommet comme à la base, démontrent à quel point les syndicats ne transigent pas, dans les actes comme dans les idées. Tous n’en peuvent pas dire autant.

Claude Roccati, historienne

[1] Voir la déclaration de l’intersyndicale qui s’est réunie le 10 juin au siège de la CGT : « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues » d’Elena Gianini Belotti. [2] Les interventions de cette journées sont disponibles sur sur le site de la CGT, dans l’article « Débat des syndicats européens : ensemble contre l’extrême droite ! » [3] Louis Aliot : « Les syndicats sont les croque-morts du monde économique et du travail […] ils ne servent à rien », BFM TV, 25 août 2022. [4] Voir « Février 1934 : De la tentative réactionnaire de coup d’État au sursaut antifasciste », Alternative libertaire, février 2024. [5] René Mouriaux, La CGT, Seuil, 1982, p. 69-72. Voir aussi Georges Pruvost et Pierre Roger, Unissez-vous ! L’histoire inachevée de l’unité syndicale, Éditions de l’atelier, 1995, p. 95-117. [6] « Manifeste des Douze » [7] Motion adoptée au congrès de septembre 1945, voir Gérard Adam,La CFTC 1940-1958. Histoire politique et idéologique, Armand Colin, 1964, p. 103.

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